Erick Péloquin trépigne d’impatience depuis le 8 avril, date à laquelle le président et fondateur d’Optimum-Canada a appris que ses deux nouvelles recrues avaient obtenu tous les papiers exigés pour venir travailler dans son entreprise, à Mercier, en Montérégie. Les deux Marocains auraient dû arriver en juin 2020, après les cinq ou six mois habituellement nécessaires pour faire venir un travailleur spécialisé de l’étranger, mais la pandémie a ralenti les démarches. Leur avion doit atterrir à Montréal la deuxième semaine de mai. Au terme de leur quarantaine, ils pourront enfin être présentés aux 36 employés, qui fabriquent des outils de coupe de précision utilisés notamment dans l’aéronautique, l’ébénisterie et le secteur médical. « Ahmed Amine et Youness vont insuffler un nouvel élan, ils vont permettre à l’entreprise d’accepter plus de contrats et vont atténuer la charge de travail de leurs collègues », dit Érick Péloquin.
Nombre de métiers et de professions souffrent actuellement d’une pénurie de main-d’œuvre au Québec, selon les données du site Emplois d’avenir d’Emploi-Québec : électromécanicien, soudeur, ouvrier agricole, agent de soutien informatique, ingénieur chimiste, programmeur, etc. D’où l’intérêt pour les entrepreneurs d’agrandir le bassin dans lequel ils pourront puiser des travailleurs, « en regardant du côté des autres régions, des autres provinces ou encore des autres pays », dit Sandrine Théard, présidente fondatrice du cabinet montréalais Les Sources humaines, qui offre des formations en matière de recrutement.
Pour Érick Péloquin, c’est « mission impossible » de dénicher au Québec dans son secteur d’activité, l’outillage de coupe de précision, des travailleurs aussi qualifiés qu’Ahmed Amine et Youness, qui ont chacun une dizaine d’années d’expérience. « Il me faudrait débaucher des employés chez mes concurrents, mais ça, je m’y refuse, car ce n’est pas correct et c’est même contre-productif pour l’ensemble du secteur », dit-il.
Devant la pénurie, le réflexe de nombre d’employeurs est de baisser leurs attentes afin de pourvoir les postes vacants au plus vite. Et de se dire qu’un peu de formation permettra une mise à niveau. Mais cela se traduit souvent par des déconvenues, prévient Sandrine Théard.
Selon la dirigeante des Sources humaines, mieux vaut s’accorder le temps nécessaire pour trouver la personne qui remplira trois critères principaux : avoir toutes les compétences requises, posséder une solide expérience professionnelle et prôner des valeurs en adéquation avec celles de l’entreprise. Bref, elle suggère de prendre son temps pour dénicher des profils pointus, pour ne pas dire la perle rare. « À la clé, on se donne la possibilité d’améliorer la productivité de son équipe, de réaliser plus de mandats qu’auparavant, ou encore de se lancer dans de nouveaux marchés », dit-elle.
Quand Érick Péloquin a parlé de recruter à l’étranger en novembre 2019, un ami lui a recommandé Sterna. Cette application québécoise payante ressemble, si on veut, à un « Tinder du recrutement » : le recruteur cherche l’aspirant parfait parmi un grand nombre de candidats correspondant au profil qu’il a établi, puis il peut rencontrer — par visioconférence ou en personne — ceux qui l’intéressent le plus. Sterna vise à faciliter le recrutement dans cinq pays (Mexique, Colombie, Maroc, Tunisie et Philippines) dans les secteurs de la fabrication, du transport, des technologies de l’information, de la restauration et de la santé.
Érick Péloquin a repéré une vingtaine de CV de travailleurs marocains potentiellement intéressants. « Mes recherches se sont limitées au Maroc parce que ce pays du Maghreb est réputé pour le talent de ses opérateurs de machines-outils et parce que les gens y parlent couramment français », explique-t-il. Il a mené sept entrevues par visioconférence avant de retenir, en janvier 2020, deux candidats qui sortaient du lot : Youness Moussaddeq, 29 ans, de Casablanca, et Ahmed Amine Mansouri, 28 ans, de Safi, à deux heures et demie de route au sud de la capitale économique du Maroc.
D’autres initiatives technologiques de ce genre existent, notamment Talent Montréal, de Montréal International, une agence de promotion économique du grand Montréal auprès des investisseurs, des entrepreneurs et des travailleurs du monde entier. Ce site compte actuellement plus de 10 000 candidatures de travailleurs étrangers de tous les horizons professionnels disposés à venir travailler au Québec.
« Des amis m’avaient prévenu que c’était complexe de recruter à l’étranger, mais avec l’aide de la technologie, ça s’est révélé hyper simple », se réjouit Érick Péloquin, qui a créé son entreprise il y a 27 ans.
Régis Michaud, président fondateur de RM Recrutement International, abonde dans le même sens. C’est en grande partie grâce à la technologie que son cabinet, établi à Québec, a pu faire venir en 2020 quelque 350 travailleurs philippins ayant répondu à des besoins criants, en particulier dans le secteur de la restauration rapide. Il s’est servi de Skype afin que les employeurs puissent rencontrer à distance les candidats étrangers, et même leur faire passer des tests pratiques en direct, sous l’œil des caméras. Par exemple, un employeur québécois pouvait demander à un soudeur philippin, à l’autre bout de la planète, d’exécuter une manipulation difficile sur une machine semblable à celle qu’il a dans son atelier, et « voir si le candidat était doué ou pas », illustre-t-il.
Depuis le début de la pandémie, des événements virtuels sont apparus au Canada, dans le cadre desquels les employeurs québécois peuvent entrer en contact avec des travailleurs canadiens, voire étrangers, en quête de nouveaux défis professionnels. Un exemple parmi d’autres, dont fait mention le site Web d’Emploi-Québec : le Salon virtuel de l’emploi et de la formation continue, organisé par L’Événement Carrières. Sa première édition, en octobre dernier, a donné l’occasion à 218 entreprises québécoises d’attirer l’attention de quelque 20 000 visiteurs ; la seconde s’est tenue du 7 au 16 avril.
Le recrutement demande certes du temps et de l’argent, mais le facteur humain est aussi important. Cela peut compter pour beaucoup en période de fortes turbulences économiques. Ainsi, en février 2020, le président d’Optimum-Canada s’est envolé vers le Maroc pour rendre visite à ses deux nouvelles recrues. Il voulait faire connaissance en personne et, surtout, nouer un premier lien solide, car il savait que les démarches administratives allaient prendre des mois et que ç’aurait été un coup dur de voir un des deux travailleurs perdre patience et laisser tomber son offre d’emploi. Ahmed Amine Mansouri et Youness Moussaddeq l’ont accueilli à bras ouverts, et chacun lui a fait visiter son coin de pays. « Les rencontres ont été si fortes sur le plan humain que je suis reparti sûr et certain qu’ils viendraient au Québec, peu importe les difficultés », raconte Érick Péloquin.
Quand un nouvel employé est heureux de son changement professionnel, il se transforme souvent de lui-même en ce que les spécialistes du recrutement appellent un « ambassadeur », quelqu’un qui dit du bien de l’entreprise qui l’a engagé. Cela peut donner à d’autres le goût de le rejoindre. « C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les travailleurs qui émigrent : quand tout se passe bien dans leur nouvelle vie, ils le font savoir chez eux, si bien que l’employeur pourra embaucher là-bas encore plus facilement que la première fois, s’il en a envie », souligne Régis Michaud, de RM Recrutement International.
Bref, recruter loin de chez soi — dans une autre région, une autre province ou un autre pays — est une des solutions à la disposition des employeurs en manque de main-d’œuvre. Mais quelle que soit la démarche retenue, l’important est d’oser innover. Car le jeu en vaut la chandelle, assure Sandrine Théard : « Recruter des travailleurs venus d’autres horizons, c’est miser sur la diversité, c’est enrichir son entreprise et ses employés. »
Source : L'Actualité
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