mercredi 28 avril 2021

Livres : le top 10 du mois d’avril

 

Comme chaque mois désormais, découvrez notre sélection des dix livres immanquables à dévorer, sans modération.



Le confinement étendu à toute la France nous oblige à nous occuper autrement. Et si parfois vous n’avez pas envie d’errer sur les plateformes de streaming telles que Netflix, Amazon Prime Vidéo ou Disney +, que diriez-vous de plonger dans un bon bouquin ? Un passe-temps très à propos en cette période de quarantaine qui aura le mérite de vous distraire. Romans biographiques ou d’aventures, récits fictionnels, effrayants, ou bien thrillers haletants...: vous trouverez forcément de quoi occuper vos journées et vous évader le temps de quelques chapitres. 

ROMANS, CONTES ET THRILLERS PASSIONNANTS

Alors pour commencer ce mois d’avril sous les meilleurs auspices, piochez parmi notre top dix des livres à découvrir absolument. Une sélection lue et approuvée par la rédaction.

  • « LA SIDÉRATION », DE LAURENCE BENAÏM (STOCK)


C’est une lettre bouleversante devenue un livre que Laurence Benaïm, auteure de bios raffinées d’Yves Saint Laurent et de Marie-Laure de Noailles, adresse à sa mère.
À la mort de sa mère, l'écrivaine Laurence Benaïm découvre son journal intime. Et avec lui, ses secrets indicibles. Nicole, fille de Hermann et Rachel Frajder, fut une enfant cachée pendant la guerre dans un petit village de l'Yonne ; ses tantes, déportées à Auschwitz, ne sont jamais revenues. « Chana et Mirla sont mortes deux fois, la première fois dans les camps, la deuxième fois en tombant dans un puits d'oubli », écrit Laurence Benaïm. Blessures béantes qui éclairent d'une autre lueur cette mère qui n'eut de cesse de s'absenter à sa famille, cette chirurgienne du cœur toujours happée par ses malades, réfugiée dans une vie à « soigner les autres, à ne jamais faillir ». Cette mère empêchée de tendresse par trop de douleur, dont chaque enfant a ravivé les blessures, au lieu de les adoucir. Parcours enlacé de fille et de mère où la première se glisse dans les pas de la seconde afin de comprendre, de retisser les fils, de conjurer l'absence. L'auteure laisse ses souvenirs affleurer sans fard. Elle ne tait ni l'adolescente qu'elle fut, « j'étais grosse, je vivais à l'intérieur de mes petits bourrelets, de tous ces mensonges, avaler et vomir, avaler et vomir […] », ni l'amour de ses parents enfoui sous le poids des rancœurs et des frustrations. Ni cette question qui se joue pour chaque enfant devenu adulte : la répétition, ou le pas de côté. « Les mots sont des remparts contre l'oubli », écrit Laurence Benaïm. Un chemin vers le pardon, la gratitude et l'amour, aussi.

Soline Delos

  • « ON ÉTAIT DES POISSONS », DE NATHALIE KUPERMAN (FLAMMARION)

Pas facile d’être la fille d’une telle génitrice. Nathalie Kuperman raconte cette histoire folle, à hauteur d’enfant. Poignant.

C'est une mère imprévisible. Physiquement, elle ne lâche pas sa fille de 11 ans, Agathe. Mais en réalité, elle est ailleurs. Elle plane dans son monde. D'ailleurs, de temps en temps, elle disparaît, elle abandonne Agathe, puis revient dans la nuit, ivre, la robe en lambeaux, se vantant d'avoir passé quelques heures entre les bras d'un homme. « On était des poissons » est un roman dur sur la souffrance infligée par une mère folle, observée à travers les yeux de l'enfant. Cette femme fait d'Agathe la spectatrice de sa chute, et sa prisonnière. Nathalie Kuperman écrit pour les adultes et pour la jeunesse. Elle sait donc trouver les mots pour traduire la confusion, mais aussi la maturité d'Agathe ; pour rendre compte de l'intuition qu'ont les enfants lorsqu'un drame couve, même quand ils ne peuvent en saisir exactement les causes et les contours.

La mère et la fille partent pour la Côte d'Azur, alors que l'année scolaire n'est pas terminée, et Agathe devine que quelque chose ne tourne pas rond. Au Lavandou, la mère la bouscule par une série d'injonctions : « Maillot de bain ! », pour que sa fille l'accompagne dans l'eau, ou « Trinquons ! », prononcé bien fort dans un restaurant. Elle boit trop, Agathe a honte. Les adultes qui les entourent ne sont d'aucun secours. La peur le dispute au mystère. Quels malheurs la mère a-t-elle vécus ? À quoi pense-t-elle lorsqu'elle dit : « Nous étions des poissons » ? Nathalie Kuperman montre Agathe prise entre plusieurs feux, tremblante, mais loyale avec sa mère qu'elle suit dans ses fous rires, « alors que la situation ressemblait à un immeuble qui s'effondre ».

Virginie Bloch-Lainé

  • « JAMES & NORA. PORTRAIT DE JOYCE EN COUPLE », D'EDNA O'BRIEN (SABINE WESPIESER ÉDITEUR)

Edna O’Brien signe un texte bref, brillant et tonique sur le couple que James Joyce a formé avec la « bavarde » Nora.

Que signifie « joyciser » ? Écrire dans le style de Joyce, à la frontière du sens et du non-sens. C'est ce que fait l'Irlandaise Edna O'Brien, 90 ans, dans ce bref essai consacré à James Joyce et Nora Barnacle. Il l'a rencontrée en 1904 et ne l'a plus jamais quittée, jusqu'à sa mort en 1941. James et Nora s'aimaient passionnément ; attention, danger ! Ils vivaient dans la misère et s'envoyaient des lettres d'amour fou et cru. La romancière raconte alors leur complicité, leurs emportements, leurs exils pour fuir les dettes, leur façon chaotique d'être parents et amants : « Avoir un aperçu de l'ascension-descension d'autrui en amour est quasiment impossible, mais la comprendre chez James Joyce est vertigineux, redoutable, métamorphosant et impondérable. Ici, point de batterie de cuisine, point de normalité. Il est à la fois une réalité bizarre dans sa quête et une métamorphose par où les femmes sont hissées sur des piédestaux pour litanies. » Sous-titré simplement « Portrait de Joyce en couple » en hommage au « Portrait de l'artiste en jeune homme » de Joyce, le livre recèle de superbes difficultés. Edna O'Brien joue avec le babil inventé par l'auteur d'« Ulysse ». Elle en parsème ses pages, frôlant parfois le poème en prose, comme ici : « Et patali et patala, que je te me le butine, lutine et turluttine. » Écoutez le son, et le sens viendra. C'est en lisant Joyce à qui elle a consacré une biographie qu'Edna O'Brien a découvert sa vocation d'écrivaine. Comme lui, elle a quitté l'Irlande qui censurait sa liberté de plume. Son essai est suivi d'une postface épatante de Pierre-Emmanuel Dauzat. Le traducteur d'O'Brien montre que la langue de Joyce est « formée de toutes les langues », au point que le lecteur français « est enclin à se demander si les traducteurs ont fait leur office ».

Virginie Bloch-Lainé

  • « L'HÔTEL DE VERRE », D'EMILY ST. JOHN MANDEL (RIVAGES NOIR)

2018. Au large de la Malaisie, une femme se noie. Elle s'appelle Vincent. Entre cette scène océanique qui ouvre et referme le roman, sa vie sert de fil rouge à un récit dont la construction, éclatée mais facile à suivre, sert un projet ambitieux : raconter la fin d'un monde. Le précédent livre d'Emily St. John Mandel, « Station Eleven », suivait une troupe de théâtre shakespearien dans un futur ravagé par une pandémie. Ce coup-ci, l'écrivaine canadienne remonte le temps et examine comment, dans le sillage de la crise financière de 2008, la somme des vénalités et des lâchetés individuelles a entraîné l'effondrement d'un système. Au cœur du livre, Jonathan Alkaitis est un financier de Wall Street, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'escroc Bernard Madoff, dont la colossale arnaque ruina des centaines d'épargnants. En 2005, avant sa chute, Alkaitis est le propriétaire d'un « hôtel de verre » posé sur une île sauvage au nord de Vancouver. C'est entre les murs transparents de ce palace que se fixe une intrigue opaque. La barmaid, Vincent, sublime jeune femme, démissionne pour devenir sa compagne. Le milliardaire, veuf et sexagénaire, lui ouvre les portes du « royaume de l'argent » ; elle les pousse, plus par lassitude que par vénalité. Employé de ménage, son demi-frère Paul s'est fixé ici quelques instants, avant de poursuivre sa dérive. Leon Prevant, lui, est un client. Il sera l'une des victimes de l'arnaque montée par Alkaitis. Enchaînant les points de vue par une habile mécanique de relais, se jouant des temporalités sans que cela impacte vraiment le déroulement de l'intrigue, Emily St. John Mandel élabore la chronique d'un effondrement. Du bas de l'échelle au toit du monde, des trottoirs new-yorkais aux penthouses avec vue sur Central Park, elle interroge la force des illusions, le pouvoir de l'argent et la violence de la chute. Attention à l'atterrissage.

Clémentine Goldszal

  • « SEUL ENTOURÉ DE CHIENS QUI MORDENT », DE DAVID THOMAS (ÉDITIONS DE L'OLIVIER)

Le titre du recueil de David Thomas est aussi long que les nouvelles qu’il contient sont brèves : « Seul entouré de chiens qui mordent » est une formidable collection de microfictions.

David Thomas est un habitué de ce genre dans lequel il excelle : la surprise et le plaisir du lecteur y sont d'autant plus forts que le texte est court. Les personnages sont célibataires ou divorcés et animés de l'espoir de retrouver l'âme sœur. L'amour les travaille ; pour qui n'en va-t-il pas ainsi ? Ils élaborent des stratégies comiques, tellement impossibles à tenir qu'elles tombent à l'eau. Mais ces toiles de fond un peu sombres sont relevées par l'ironie, l'habileté et la tendresse de l'écrivain. C'est que David Thomas, dont la plume est sobre et l'humour british, apprécie les pince-sans-rire et les arroseurs arrosés. Prenons « À contre-courant » : le narrateur est un père de famille que l'on croit méprisé et dépassé par son fils de 20 ans : « Il contredit tout ce que je dis, défait ce que j'entreprends. » Mais c'est finalement le père qui joue un tour à son enfant pour son bien. Voilà un écrivain doué pour rendre sensibles nos pensées souterraines, comme dans « Le Fil des secondes » : « Ce sont des mots que l'on a entendus derrière une porte et qui nous invitent dans l'intimité des autres. C'est la tête que l'on tourne vers un éclat de rire dans la rue. Un strapontin de métro qui claque, le soupir d'une vieille dame montant difficilement un escalier […]. » Saisis au vol, ces échantillons d'une vie autre que la nôtre ouvrent l'imagination : on se raconte une histoire, et l'on garde pour soi ce pas de côté.

Virginie Bloch-Lainé

  • « LA MODE DÉSHABILLÉE », DE FRÉDÉRIC GODART ET ZOÉ THOURON (CASTERMAN)

La mode peut paraître frivole, futile, voire déconnectée de la réalité. Elle forme pourtant un écosystème complexe aux multiples entrées, comme le montrent le sociologue Frédéric Godart et l'illustratrice Zoé Thouron dans cet album. On apprend ainsi comment la petite robe noire ou le T-shirt sont devenus des incontournables de notre vestiaire. On y côtoie Rose Bertin – modiste attitrée de Marie-Antoinette –, le dandy George Brummel ou l'icône punk Vivienne Westwood. On plonge dans les rouages de cette industrie, de la création d'une collection jusqu'à son arrivée en boutique. Les paradoxes de la fashion et les défis de l'époque ne sont pas non plus oubliés : désastre écologique, explosion du vintage, pouvoir des réseaux sociaux, diversité et représentation des corps… Ce déshabillage complet est un véritable plaisir à regarder. Et l'on apprend beaucoup, ce qui ne gâche rien.

Cora Delacroix

  • « 1984 », D'APRÈS GEORGE ORWELL, DE SYBILLE TITEUX DE LA CROIX ET AMAZING AMEZIANE (ÉDITIONS DU ROCHER)

4 avril 1984, Londres. Winston Smith décide de tenir son journal, ce qui est interdit dans l'univers totalitaire de Big Brother dont l'image omniprésente (Staline) est supposée tout voir et tout entendre. C'est la peur au ventre que Winston, hors de vue du « télé-écran » de sa chambre, prend la plume et s'arrête sur cette pensée : « Down with Big Brother » (« À bas Big Brother »). Comment peut-il douter ? Lui qui travaille au ministère de la Vérité et réécrit l'histoire selon la ligne officielle. Phrases cultes en anglais, illustrations aux tons froids, cet album rend compte à merveille de l'ambiance paranoïaque de « 1984 ».

Sandrine Mariette

  • « VIRGINIA WOOLF, CARTE D’IDENTITÉ », D'HENRIETTE LEVILLAIN (FAYARD)

« Puisse cette femme qui gît, ce soir, au fond d'une tombe anonyme, jouir d'un doux sommeil, auquel, assurément, ont droit tous ceux qui sont à bout de fatigue. » Adolescente, Virginia Woolf consigne ainsi dans son journal l'histoire d'une femme retrouvée à la surface d'un étang de Hyde Park. Une anecdote troublante, annonçant le jour où l'auteure se noiera volontairement dans la rivière derrière sa maison. Avec délicatesse, Henriette Levillain tire tous les fils des obsessions de Woolf, démontrant que détresse et beauté guident sa plume dès les premiers instants. Un récit formidable et fouillé.

Flavie Philipon

  • « BEAUVOIR », DE GÉRALDINE GOURBE (LES PÉRÉGRINES/ICÔNES)

« B.B. n'essaie pas de scandaliser. […] Elle suit ses inclinations. Elle mange quand elle a faim et fait l'amour avec la même simplicité. […] Le désir et le plaisir lui semblent plus vrais que les préceptes et les conventions. » Imprévisible, Simone de Beauvoir rend un hommage admiratif à Brigitte Bardot dans les pages d'« Esquire », en 1959. Au fil d'un essai délicat, l'auteure raconte la philosophe à travers les femmes qui ont marqué sa vie et sa pensée, de Violette Leduc à Gisèle Halimi, avec qui elle a écrit en 1962 « Djamila Boupacha », sur une jeune femme héroïque du FLN. Ultrapuissant.

Flavie Philipon

  • « LE MINISTÈRE SECRET 1, HÉROS DE LA RÉPUBLIQUE », DE JOANN SFAR ET MATHIEU SAPIN (DUPUIS)

Mais qu'était-ce donc que cela ? Voilà – une fois l'album refermé – la question qui traversera probablement bon nombre de lecteurs. Faut-il s'en priver pour autant ? Surtout pas, tant on rit, pris par cette abracadabrantesque épopée. Récit d'aventures dans l'esprit de « Mission : impossible », teinté d'autofiction (l'un des deux auteurs en est le héros), le tout mâtiné de polar « géo-absurdo-politique », avec en têtes d'affiche François Hollande et Nicolas Sarkozy, deux super-héros a priori moyennement convaincants dans le rôle, aux prises avec des reptiliens dissimulés sous l'apparence d'Éric Cantona… Comment ça, c'est n'importe quoi ? Oui, mais du grand n'importe quoi ! En dévoilant les coulisses de leur « Ministère secret », les deux ex-copains d'atelier Mathieu Sapin et Joann Sfar se sont fait plaisir et le font partager. À dévorer.

Catherine Robin

Source : ELLE

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