Masakazu Daibo a rouvert le restaurant d'anguilles de sa famille à Namie, petite ville du nord-est du Japon qui avait dû être totalement évacuée après la catastrophe nucléaire de Fukushima en mars 2011. Mais il n'a quasiment aucun voisin.
Son établissement est toujours entouré de bâtiments abandonnés, envahis par les mauvaises herbes, dans ce qui était autrefois le centre-ville de Namie.
Une décennie après le puissant séisme sous-marin ayant déclenché le tsunami qui a lui-même causé le pire accident nucléaire au monde depuis Tchernobyl, les localités hantées par le désastre et la menace persistante des radiations s'interrogent toujours: comment rebâtir une communauté ?
Jusqu'à 12 % du département de Fukushima, soit plus de 1.650 km2, avaient été interdits d'accès dans les mois ayant suivi la catastrophe, et jusqu'à 165.000 habitants avaient évacué, par obligation ou par choix.
De nombreuses zones ont été déclarées à nouveau habitables par les autorités à la suite de travaux intensifs de décontamination ces dernières années.
Mais beaucoup des "déplacés" de Fukushima sont réticents à revenir, en dépit d'incitations financières de l'Etat et de loyers bon marché.
Masakazu Daibo, lui, a franchi le pas l'an dernier, reprenant le restaurant que tenait son grand-père à Namie avant la catastrophe, à environ neuf kilomètres de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima Daiichi.
Chiens errants, vaches et cochons
Namie et 11 autres communes voisines faisaient partie d'une zone d'exclusion autour de la centrale, seulement accessible pour de brèves visites des années durant.
"Il n'y avait plus personne, mais la ville est restée. C'était comme un décor de cinéma", raconte à l'AFP M. Daibo, 65 ans. "Je voyais seulement des chiens errants, des vaches et des cochons".
A cause des radiations, des murs du restaurant ont dû être abattus et Masakazu Daibo a dû jeter tout ce qu'il restait à l'intérieur.
Mais grâce à sa cuisine, le restaurateur espère que ses clients retrouveront le "goût d'antan". "J'espère que ma présence sera un rayon de soleil pour cette ville".
Les restrictions ont été levées pour seulement un cinquième du territoire de Namie, dont la population actuelle (1.580 habitants) représente à peine 7,5 % de celle d'avant mars 2011.
Environ 36 % des habitants sont âgés de 65 ans et plus, contre 29 % pour la moyenne nationale. Les écoles de la commune accueillent seulement 30 élèves, contre près de 1.800 il y a dix ans.
Le Japon dans son ensemble est touché par un fort vieillissement démographique, mais pour Namie, "c'est comme si le futur dans 20 ans était arrivé d'un coup", explique Takanori Matsumoto, un responsable municipal.
"Survivre en tant que communauté est notre défi majeur", souligne-t-il.
Environ 337 km2, soit 2,4 % de la superficie du département de Fukushima, demeurent actuellement inhabitables, et la population des déplacés est tombée à environ 36.000 personnes, selon des chiffres officiels, que de nombreux experts jugent toutefois largement sous-évalués.
Le gouvernement n'a pas fixé de date pour la levée des ordres d'évacuation restants, et de gros doutes persistent sur la durée du démantèlement de la centrale de Fukushima Daiichi, censé encore prendre de 30 à 40 ans.
Seulement 15 % de la zone de décontamination spéciale délimitée par le gouvernement ont été complètement nettoyés à ce jour, a dénoncé l'organisation environnementale Greenpeace dans un rapport publié la semaine dernière, en se basant sur ses propres mesures des radiations.
"Personne ne vient ouvrir"
"Si j'étais seule, je reviendrais", assure Megumi Okada, une mère de famille partie de Fukushima après la catastrophe, bien qu'elle n'habitait pas dans une zone à évacuer.
"Mais en tant que mère, je veux vraiment éviter les risques pour mes enfants", ajoute Mme Okada, 38 ans, qui vit maintenant à Tokyo.
Et le retour a parfois un goût amer. Takao Kohata, 83 ans, est rentré à Minamisoma, au nord de la centrale accidentée, mais les parents de ses quatre petits-enfants ne les autorisent pas à lui rendre visite, par peur des radiations.
"Je comprends totalement leurs inquiétudes, mais je me sens un peu triste et solitaire", confie-t-il à l'AFP.
Masaru Kumakawa, 83 ans lui aussi, s'est réinstallé à Namie il y a trois ans, bien qu'il ait perdu ici sa femme dans le tsunami de 2011.
Tout en dirigeant une association visant à retisser des liens entre habitants, il a du mal à se rapprocher de ses voisins dans son nouveau lotissement.
"Ils ont vécu en tant qu'évacués pendant trop longtemps", dit-il. "On sonne à la porte, mais personne ne vient ouvrir".
Source : Le Point International
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